L’Amérique latine face à Donald Trump

Avec le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, l’Amérique latine fait face à un durcissement sans précédent des relations commerciales et diplomatiques avec les États-Unis. Entre tarifs douaniers punitifs, pressions politiques et réalignement géopolitique forcé, Washington adopte une posture plus agressive que jamais, cherchant à renforcer son influence et à limiter celle de la Chine dans la région.

Donald Trump et Marco Rubio lors d’une conférence de presse à la Maison Blanche. Photo: Aaron Schwartz /CNP/ Bloomberg/ Getty Images

Le président américain a imposé des tarifs douaniers massifs sur un large éventail de produits étrangers, justifiant ces mesures par la nécessité de protéger l’industrie américaine et de rééquilibrer les échanges commerciaux. Mais derrière cette rhétorique protectionniste, c’est une diplomatie de l’intimidation qui devient la nouvelle norme.

En effet, Trump ne négocie pas, il impose. Il pousse ses voisins et partenaires commerciaux à des concessions unilatérales au nom de la défense de l’industrie américaine mais (surtout ?) au nom d’un néo-impérialisme décomplexé qui voudrait que les USA imposent leur loi là où bon leur semble : annexer le Canada, renommer le Golf du Mexique, exiger l’envoi de l’armée mexicaine à la frontière, récupérer les terres rares au Groenland et en Ukraine, mettre la main sur le Canal de Panama… Une approche prédatrice des relations internationales qui vise à s’assurer la fourniture de matières premières et qui rappelle d’une certaine façon celle de la Chine et de son projet de Nouvelles Routes de la Soie.

Le libre-échange devient un rapport de force, où les États-Unis dictent leurs conditions sous la menace de représailles économiques. Dans cette nouvelle donne, l’Amérique latine n’est pas épargnée, au contraire. La région, longtemps délaissée par les administrations américaines successives au profit des investissements chinois, est redevenue une priorité pour Washington dès la victoire de Donald Trump. Le président ne veut plus seulement concurrencer la Chine en Amérique latine, mais l’en évincer complètement. Pour cela, il exerce une pression croissante sur les gouvernements de la région, les forçant à choisir leur camp : Washington ou Pékin. Ceux qui hésitent subissent des représailles immédiates, comme le Panama, contraint d’abandonner les Nouvelles Routes de la Soie chinoises sous la menace de sanctions américaines.

Mais au-delà du commerce, Trump met en œuvre une stratégie de domination régionale, un véritable retour à la doctrine Monroe dans une version exacerbée. Cela passe aussi par un durcissement sans précédent de la politique migratoire. Donald Trump a ainsi fermé la frontière au Sud et forcé certains pays à récupérer leurs ressortissants, parfois acheminés dans des conditions déplorables, les menaçants d’appliquer des tarifs démesurés s’ils refusaient. Là aussi, peu de place pour la négociation.

En Amérique latine, chaque pays est touché différemment, mais tous doivent désormais composer avec un président américain plus agressif que jamais, prêt à déstabiliser économiquement ses partenaires pour renforcer l’hégémonie américaine. La région est ainsi confrontée à un changement de paradigme, où la diplomatie traditionnelle cède la place à des relations transactionnelles et où il s’agit de céder le moins possible à Washington.

Analysons donc les enjeux de ce nouveau paradigme pour les pays les plus concernés en Amérique latine.

Mexique : au cœur du conflit commercial

  • Donald Trump a déclenché une véritable guerre économique contre le Mexique en annonçant vouloir imposer un tarif douanier de 25 % sur toutes les importations mexicaines. Une décision qui frappe de plein fouet l’industrie automobile, l’électronique, l’acier et l’agriculture, secteurs représentant près de 80 % des exportations du pays vers les États-Unis.

  • La présidente du Mexique Claudia Sheinbaum a obtenu un sursis d’un mois en promettant de renforcer les contrôles migratoires à la frontière. Elle a également évoqué de possibles contre-mesures mais sans donner d’avantage de précisions. De son côté le ministre de l’économie Marcelo Ebrard se rendait ces derniers jours à Washington pour essayer de négocier une issue plus positive pour le Mexique.

  • L’impact de cette hausse tarifaire pourrait être très désastreux pour le Mexique : hausse des coûts, pertes d’emplois, récession. Standard & Poor’s estime que cette mesure pourrait plonger le Mexique dans une crise économique, tandis que des entreprises comme Nissan envisagent déjà de relocaliser leur production aux États-Unis.

  • Au-delà des tensions commerciales, ces tarifs remettent en cause le libre-échange nord-américain (USMCA) et pourraient freiner les investissements étrangers au Mexique, notamment ceux de la Chine. Trump conditionne leur suppression à l’arrêt de l’immigration clandestine et du trafic de fentanyl, mettant Sheinbaum sous pression pour négocier une sortie de crise.

Brésil : entre tensions et pragmatisme

  • le retour de Donald Trump est une mauvaise nouvelle pour le président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva, qui doit composer avec un dirigeant opposé à ses valeurs et à son programme environnemental.

  • Le commerce entre les États-Unis et le Brésil, qui représentait 75 milliards de dollars en 2023, reste un élément central des relations bilatérales. Mais la montée du protectionnisme américain pourrait affecter l’exportation de produits agricoles et industriels brésiliens, notamment si Trump met en place de nouveaux tarifs douaniers, comme il l’a suggéré pour les importations stratégiques.

  • Autre point de friction : la lutte contre la déforestation. Alors que Biden avait renforcé le soutien financier aux efforts environnementaux du Brésil, Trump pourrait réduire ces aides, compliquant les initiatives de préservation de l’Amazonie.

  • Enfin, la rivalité sino-américaine place le Brésil dans une position délicate. La Chine est aujourd’hui le premier partenaire commercial du Brésil, et Trump pourrait faire pression pour réduire cette dépendance. Toutefois, en adoptant une politique protectionniste, Washington pourrait paradoxalement renforcer l’influence de Pékin, qui profiterait du vide laissé par les États-Unis pour accroître ses investissements au Brésil. Lula devra donc jongler entre protéger l’industrie nationale, gérer ses relations avec la Chine et préserver son dialogue avec Washington.

Chili : menaces sur le cuivre

  • Le Chili, premier exportateur mondial de cuivre, est particulièrement exposé aux nouvelles politiques commerciales de Trump. Le président américain souhaite rapatrier la production de matériaux stratégiques et pourrait imposer de nouveaux tarifs douaniers sur le cuivre chilien, qui représente 50 % des exportations du pays.

  • Si la Chine demeure le principal acheteur (51,3 %), les États-Unis restent un marché essentiel (11,3 %). Une taxation rendrait ces exportations moins compétitives, mettant en péril les revenus de l’industrie minière chilienne.

  • Mais la menace ne s’arrête pas au commerce des métaux. L’accord de libre-échange Chili-États-Unis (en vigueur depuis 2003) pourrait être remis en question. L’ancien ministre des Affaires étrangères Heraldo Muñoz alerte sur une possible renégociation sous pression américaine.

  • Les assureurs américains Metlife, Principal Financial Group et Prudential Financial, investis dans le système de retraites chilien, ont récemment dénoncé une "expropriation" de leurs investissements due à la réforme des retraites du gouvernement Boric. Trump, qui entretient des liens étroits avec les milieux d’affaires, pourrait être tenté de faire pression sur Santiago pour défendre les intérêts de ces entreprises.

  • Enfin, le Chili pourrait aussi perdre son programme d’exemption de visa pour entrer aux États-Unis, une mesure demandée par certains membres du Parti républicain et qui compliquerait la mobilité des citoyens chiliens.

Argentine : un revers pour Javier Milei

Colombie : Trump fait plier Petro

  • La Colombie a été brutalement sanctionnée après avoir refusé d’accueillir les avions rapatriant des ressortissants colombiens. Trump a riposté en imposant un tarif douanier de 25 %, puis 50 % sur les importations colombiennes, mettant en péril des secteurs clés comme le café et les textiles.

    Face à cette pression économique et diplomatique, Bogotá a cédé et trouvé un accord avec Washington, acceptant finalement le retour de ses ressortissants pour éviter un effondrement de ses exportations vers les États-Unis.

    Cette crise illustre la stratégie agressive de Trump pour forcer les gouvernements à plier sous la pression économique.

  • Ce bras de fer entre Donald Trump et le gouvernement colombien illustre les nouvelles tensions entre Washington et les gouvernements progressistes d’Amérique latine. Sur le plan économique, cette crise révèle également la fragilité de la dépendance colombienne aux États-Unis. Premier partenaire commercial du pays, Washington reste un acteur incontournable pour l’exportation de produits phares comme le café, les fleurs coupées et les textiles. Une taxation à 50 % aurait pu gravement impacter ces secteurs et aggraver la situation économique déjà tendue de la Colombie.

  • Si Petro a affiché une résistance symbolique face à Trump, cette crise met en lumière les limites de l’émancipation économique et diplomatique des pays latino-américains face à la puissance américaine. La Colombie a remporté un répit temporaire, mais cette affaire pourrait n’être que le début d’une série de tensions entre la Maison-Blanche et les gouvernements progressistes de la région.

Panama : le Canal comme enjeu stratégique

  • Le canal de Panama, par lequel transite 5 % du commerce mondial, est devenu un enjeu stratégique majeur pour Trump, qui s’inquiète de l’influence chinoise sur cette infrastructure clé.

  • Sous la pression américaine, le président José Raul Mulino a annoncé le retrait du Panama des Nouvelles Routes de la Soie chinoises, un revirement qui marque une victoire diplomatique pour Trump.

  • Washington a également imposé un audit des ports de Balboa et San Cristobal, actuellement gérés par une entreprise hongkongaise, craignant un possible blocage du canal en cas de conflit avec Pékin.

  • Cependant, les tensions restent vives : Mulino a fermement rejeté l’idée d’un passage gratuit des navires américains, dénonçant une ingérence inacceptable de Washington. Trump semble déterminé à reprendre un contrôle indirect du canal, ravivant le spectre d’une mainmise américaine sur cette voie maritime essentielle.

Venezuela : entre pragmatisme et ambiguïté

  • Le retour de Trump a marqué un virage dans la relation avec Nicolás Maduro. Si le premier mandat de Trump visait l’isolement total du régime vénézuélien, cette fois-ci, un pragmatisme inattendu semble s’installer.

  • Trump a permis l’expulsion de 300 000 Vénézuéliens en supprimant leur statut de protection temporaire (TPS). Lors d’une visite du général Richard Grenell au Venezuela, Maduro a été contraint d’accepter de recevoir ces ressortissants, brisant partiellement son isolement diplomatique et espérant obtenir en retour un assouplissement des sanctions pétrolières.

  • Néanmoins Donald Trump a suspendu hier la licence d’exploitation de Chevron au Venezuela, estimant que le Venezuela ne respectait pas ses engagements. Un coup dur pour Nicolas Maduro et qui a été salué par l’opposante Maria Corina Machado.

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