Guatemala : vers une alternance à gauche ?
Les résultats inattendus du premier tour des élections générales ouvrent la voie à une rupture significative dans la vie politique du pays d'Amérique centrale.
Le premier tour des élections présidentielles et législatives du Guatemala qui se tenait ce dimanche 25 juin a réservé quelques surprises. L’ancienne première dame Sandra Torres et l’outsider Bernardo Arevalo sont arrivés en tête avec respectivement 15,7% et 11,8% des voix. Manuel Conde, le candidat du parti de droite Vamos (celui du président sortant) est arrivé troisième avec 10,3% des voix. L’issue inattendue de ce scrutin présidentiel ouvre la voie à une alternance politique au Guatemala, après que la droite ait occupé le pouvoir pendant trois mandats consécutifs.
Ancienne première dame de 2008 à 2011 en tant qu’épouse d’Alvaro Colom, Sandra Torres était considérée comme la favorite avec plus de 20% des voix selon les sondages. Si elle arrive tout de même en tête, son score est bien inférieur aux attentes. Sandra Torres fait figure de vétéran de la politique au Guatemala puisqu’elle était déjà candidate aux élections présidentielles de 2015 et 2019. Elle se revendique du courant social-démocrate mais son programme s’est de plus en plus rapproché de la droite conservatrice à mesure que l’élection approchait. Cette tendance devrait se prolonger d’ici le second tour afin de se démarquer de son adversaire. En tant que vice-présidente, elle a beaucoup œuvré à la lutte contre la pauvreté au Guatemala. Si elle devient la première femme présidente du Guatemala, elle souhaite augmenter le salaire minimum des femmes célibataires et supprimer la TVA sur les produits basiques. En revanche, elle s’oppose à un retour de la Cicig1 et promet une plus grande fermeté en termes de sécurité, en s’inspirant des politiques de Nayib Bukele au Salvador.
Bernardo Arevalo, quant à lui, a créé la surprise en se hissant à la deuxième place, alors que certains sondages le plaçaient dans les derniers candidats avec 2% d’intentions de vote. Sociologue, ancien diplomate et aujourd’hui député, il est le fils de Juan José Arevalo, le premier président élu au Guatemala après la révolution de 1944. Bernardo Arevalo est l’un des co-fondateurs du Movimiento Semilla, initiative citoyenne qui a vu le jour après les manifestations de 2015 qui s’étaient conclues par la démission du président Otto Perez Molina. Depuis la création de ce mouvement, Arevalo a fait de la lutte contre la corruption son principal cheval de bataille. Il soutient le travail de la Cicig, veut renforcer les moyens de la police et investir de façon significative dans les infrastructures de transport, la santé et l’éducation. Sa qualification au second tour, un vrai exploit pour un candidat de gauche dans un pays traditionnellement conservateur, est principalement dû au vote des jeunes et au vote “anti-système”.
L’issue du second tour, qui aura lieu le 20 août, reste donc incertaine. Les résultats du premier tour ont porté un coup à la crédibilité des instituts de sondage et même si Sandra Torres est arrivée en tête, le report des voix en faveur d’Arevalo pourrait être conséquent. Si ce dernier venait à l’emporter, il s’agirait d’une rupture importante avec la classe politique traditionnelle du Guatemala. Un scénario qui pourrait encourager la population à se mobiliser au second tour. Les élections du premier tour ont en effet été marquées par une forte abstention (environ 40%) et de nombreux votes blancs ou nuls.
Ces dernières années, plusieurs personnalités politiques et médiatiques ont été “écartées” et discréditées par le pouvoir. Certains candidats à la présidentielle n’ont pas pu se présenter, leur candidature ayant été jugée non valide en amont par le Tribunal Electoral Suprême. C’est le cas de Thelma Cabrera, militante indigène maya, dont la candidature a été refusée dès le mois de janvier 2023. Thelma Cabrera était pourtant perçue comme une potentielle favorite à l’élection alors que la communauté indigène maya représente environ 45% de la population.
Les évictions de personnalités politiques, procureurs et journalistes ont marqué le mandat du président sortant Alejandro Giammattei. Le pouvoir exécutif s’est appuyé sur la juridiction électorale pour essayer de verrouiller l’élection présidentielle. Une pratique dénoncée par de nombreuses organisations internationales et qui a nourri la défiance de la population vis-à-vis du système électoral, expliquant la forte abstention lors de ce premier tour.
Toutefois, le parti du président sortant, Vamos, est arrivé en tête des élections législatives, indiquant que cette défiance est surtout dirigée à l’encontre du pouvoir central et non local.
La rupture politique qui se dessine au Guatemala doit permettre un sursaut du pays en matière de lutte contre la pauvreté. Le pays est un des plus inégalitaires en Amérique latine : près des deux tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté et un enfant sur deux souffre de malnutrition. La sécurité est également un enjeu majeur pour la population puisque le taux d’homicide est trois fois plus élevé que la moyenne mondiale.
Dans le reste de l’actualité
Argentine 🇦🇷
Le ministre de l'Économie, Sergio Massa, a été désigné comme le candidat du parti au pouvoir pour l'élection présidentielle. Ayant réussi à maintenir à flots tant bien que mal l’économie argentine depuis un an, malgré une inflation de 114% sur douze mois, Sergio Massa semblait être le candidat le plus crédible pour le clan présidentiel, dont les chances de l’emporter restent minces. (Le Figaro)
Brésil 🇧🇷
Lors de sa visite à Paris, Lula a affirmé qu’il était impossible pour le Brésil de s’engager dans un traité Mercosur-UE en l’état, alors que les européens demandent d’avantage de pré-requis en matière environnementale. Le président brésilien a critiqué les “menaces” qui pèsent sur les pays du Mercosur de la part de l’Union européenne. (Infobae)
L’inflation a décéléré au Brésil, atteignant 3,4% sur douze mois à la mi-juin, soit la plus faible hausse depuis trois ans. La Banque centrale brésilienne pourrait procéder à une baisse de son taux directeur en août, pour la première fois depuis 2021. (Reuters)
Chili 🇨🇱
Le Sénat américain a largement voté en faveur d’un traité fiscal avec le Chili qui devrait donner aux entreprises américaines un accès privilégié à la production de lithium au Chili. Le traité devrait être ratifié par Joe Biden dans les prochaines semaines. (Reuters)
Colombie 🇨🇴
Le Congrès colombien a approuvé une augmentation de 4,1 milliards de dollars du budget pour l’année 2023, permettant ainsi une hausse des dépenses en faveur de l’éducation et de la santé. Cette hausse des dépenses devrait être couverte par les retombées de la réforme fiscale majeure introduite l’an dernier. (Reuters)
Panama 🇵🇦
La sécheresse que connaît le Panama depuis plusieurs mois met en péril le fonctionnement du canal et les flux commerciaux des Etats-Unis. L’Autorité du Canal de Panama se voit ainsi contrainte de réduire sensiblement le trafic sur le canal. Les Etats-Unis sont le principal utilisateur du canal de Panama ; 40% du trafic commercial maritime américain emprunte cette voie. (CNBC)
Mexique 🇲🇽
La Banque mondiale a relevé ses prévisions de croissance pour l’économie mexicaine sur l’année 2023 à 2,5 % contre 1,5% auparavant. L’organisation souligne la robustesse de l’économie mexicaine, malgré le spectre de la récession aux Etats-Unis. (El Periodico USA)
Le peso mexicain a atteint sa plus forte valeur en sept ans, a presque 17 pesos pour un dollar et devrait continuer à se renforcer dans les prochains mois. Le président AMLO y voit un signe de la bonne gestion économique de son gouvernement mais cette hausse prolongée semble déjà affecter les exportations du Mexique et la valeur des remesas (envois d’argent par la diaspora mexicaine). (Reuters)
La Cour suprême du Mexique a invalidé un autre volet de la réforme électorale proposée par le président Andrès Manuel Lopez Obrador. Une décision qui alimente les débats autour de cette réforme et la confrontation entre les pouvoirs exécutif et judiciaire. (ABC News)
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La Cicig (Commission internationale contre l’impunité au Guatemala) est un organisme des Nations Unies créé en 2006 et chargée de lutter contre la corruption au Guatemala. Ses travaux ont révélé des réseaux de corruption dans la sphère publique et ont notamment touché les anciens présidents Alvaro Colom (2008-2012), Otto Perez Molina (2012-2015) et Jimmy Morales (2015-2019); ce dernier a mis fin aux activités de la Cicig par décret en 2019.