Mercosur : l'Uruguay défend sa position
La stratégie commerciale de l'Uruguay provoque des tensions au sein du Mercosur et révèle les défaillances du processus régional.
Les représentants des membres du Mercosur se sont réunis à Montevideo les 5 et 6 décembre dernier. Le Sommet a été marqué par des tensions autour de la décision de l’Uruguay d’intégrer le Traité de Partenariat Trans-Pacifique (CPTPP1), allant ainsi à l’encontre des statuts du Mercosur.
En amont du Sommet, les représentants du Brésil, du Paraguay et de l’Argentine avaient adressé une lettre formelle à l’Uruguay, critiquant la position de son président Luis Lacalle Pou. Ils dénoncent le non-respect par l’Uruguay des statuts du Mercosur, qui établissent qu’aucun pays du bloc ne peut négocier de traités commerciaux sans l’accord des autres membres.
Réunissant à Montevideo les présidents Luis Lacalle Pou, Alberto Fernandez (Argentine), Mario Abdo Benitez (Paraguay) et le vice président du Brésil Hamilton Mourão, le Sommet a donné lieu à des échanges tendus entre le président uruguayen et son homologue argentin. Le président Lacalle Pou n’a finalement pas signé la résolution adoptée par le bloc, comme ce fut le cas lors du précédent sommet en juillet, indiquant une rupture significative avec les autres membres.
Dix jours auparavant, le ministre des affaires étrangères uruguayen s’était rendu en Nouvelle-Zélande, afin de formaliser la demande d’intégration au CPTPP. En juillet dernier, l’Uruguay s’est également engagé dans des négociations avec la Chine pour un accord bilatéral de libre-échange. Là aussi, les autres membres du Mercosur avaient exprimé leur désaccord.
Cette stratégie “soliste” est assumée par le gouvernement uruguayen. En effet, Luis Lacalle Pou a récemment déclaré avoir '“parfaitement le droit” de poursuivre des négociations avec d’autres initiatives régionales ou d’autres pays. Selon lui, le droit international en la matière est en faveur de l’Uruguay. Il se défend également d’un système à deux poids deux mesures où les autres membres du Mercosur ont parfois pris des décisions commerciales importantes sans l’accord de l’Uruguay. Il cite notamment des réductions tarifaires négociées entre le Brésil et l’Argentine.
La diplomatie uruguayenne critique l’immobilisme du Mercosur, qui impose des règles protectionnistes à l’Uruguay sans apporter de nouvelles opportunités commerciales. Or, le gouvernement uruguayen cherche à s’insérer d’avantage dans les chaînes globales de valeur et cela passe par des accords commerciaux extrarégionaux. A l’image du Pérou, du Chili et de l’Equateur, qui négocient des accords commerciaux bilatéraux tout en participant à des initiatives régionales, l’Uruguay souhaite diversifier ses débouchés commerciaux, sans pour autant remettre en question son appartenance au Mercosur. Pour le pays de 3,5 millions d’habitants, les opportunités sont en effet ailleurs qu’au sein du Mercosur.
Depuis 2016, l’Uruguay s’est notamment rapproché de la Chine jusqu’à en faire aujourd’hui la destination principale de ses exportations. Le marché chinois capte en effet l’essentiel de la production agricole uruguayenne (bœuf, soja, cellulose) et le gouvernement uruguayen souhaiterait que cette relation s’intensifie. D’abord sur le secteur agricole où l’Uruguay est concurrencé par la Nouvelle-Zélande et l’Australie, qui bénéficient d’un accès plus direct au marché chinois et ne subissent pas les contraintes protectionnistes du Mercosur. Mais aussi sur d’autres secteurs où la Chine semble prête à collaborer avec l’Uruguay, tels que la santé, les infrastructures et les nouvelles technologies. L’approvisionnement par l’Uruguay en vaccins chinois en 2021 a été un premier pas dans ce sens. Il y a deux semaines, l’arrivée de Huawei en Uruguay a constitué une nouvelle étape dans ce rapprochement avec la Chine.
Si les discussions entre l’Uruguay et la Chine sur la conclusion d’un accord bilatéral venaient à se concrétiser, il s’agirait certainement d’un tournant pour le Mercosur. La Chine, préférant les discussions bilatérales, n’est pas disposée à négocier directement avec le Mercosur, comme l’ont suggéré les autres membres du bloc sud-américain. Les Etats pourraient être amenés à revoir les statuts du Mercosur afin d’autoriser chaque membre à conclure des accords commerciaux librement.
Pour l’instant, la position de l’Uruguay fragilise la cohésion au sein du Mercosur alors que le retour de Lula à la présidence brésilienne annonçait une nouvelle dynamique favorable pour le bloc sud-américain. Le président brésilien qui prendra ses fonctions le 1er janvier 2023 compte en effet remettre sur la table le projet d’accord commercial entre le Mercosur et l’Union européenne. Celui-ci avait été mis de côté par l’UE, notamment en raison de la politique de déforestation en Amazonie assumée par le président Bolsonaro. La reprise des négociations sur ce traité, également souhaitée par l’Union européenne, pourrait là aussi être déterminante pour l’avenir du Mercosur.
Dans le reste de l’actualité
Brésil 🇧🇷
Ce lundi 12 décembre, des affrontements violents ont éclaté à Brasilia entre les supporters de Jair Bolsonaro et la police. Les partisans du président sortant ont tenté d’envahir le quartier général de la police dans la capitale du Brésil, mais ont été repoussés. Ils protestaient contre la victoire de Lula, qui avait été officiellement entérinée plus tôt dans la journée par le Tribunal électoral suprême (TSE), mais aussi contre l’arrestation de José Acácio Serere Xavante.
Soutien de Bolsonaro, Xavante a été arrêté temporairement pour avoir mener des actions “anti-démocratiques”. Selon Alexandre de Moraes, juge de la Cour Suprême, Xavante aurait incité de nombreuses personnes à protester contre la certification du vote présidentiel. La semaine dernière, Jair Bolsonaro était sorti de son silence, laissant son sort entre les mains de ses partisans en affirmant “Ceux qui décident où je vais, c’est vous. Ceux qui décident où va l’armée, c’est vous.”
Brazil: Bolsonaro supporters riot in Brasilia
DW, 13 décembre 2022
Chili 🇨🇱
Suite au rejet du projet de nouvelle Constitution en septembre dernier, le gouvernement de Gabriel Boric a dévoilé cette semaine les grandes lignes de cette copie revisitée, dans un document nommé “Un accord pour le Chili”, signé par tous les partis sauf l’extrême droite.
Le principal changement réside dans la composition du comité constitutionnel. Le texte présenté en referendum le 4 septembre dernier avait été rédigé par un comité de 155 citoyens dont la composition avait été perçue comme trop à gauche par beaucoup de Chiliens. Cette fois-ci, le Parlement devra élire un comité d’experts qui sera chargé d’écrire une nouvelle Constitution. Celle-ci sera ensuite soumise à un comité de 50 citoyens élus, avant de repasser par un panel de spécialistes qui devront statuer sur la faisabilité du projet.
En plus de cette réorganisation, qui semble plus équilibrée que la précédente, les parlementaires ont déjà exprimé plusieurs principes de base qui devront être conservés dans le projet de nouvelle Constitution. Ainsi, la nouvelle Constitution devra réaffirmer le caractère indivisible de la République du Chili, abandonnant l’hypothèse d’un système judiciaire spécifique pour les communautés indigènes. De plus, le système bicaméral devrait être maintenu, contrairement au projet précédent. Selon le calendrier annoncé, cette nouvelle Constitution pourrait être votée d’ici la fin d’année 2023.
Chili: un nouveau cadre pour une nouvelle Constitution, sur les rails
RFI, 13 décembre 2022
Colombie 🇨🇴
Le président de la Colombie Gustavo Petro a ratifié ce mardi l’ambitieuse réforme fiscale annoncée lors de sa campagne. Celle-ci devrait rapporter à l’Etat colombien 20 milliards de pesos (plus de 4 milliards de dollars US) supplémentaires par an. La réforme prévoit une augmentation de l’imposition sur toute l’industrie extractive et notamment le secteur pétrolier mais aussi sur le secteur financier et sur les ménages les plus riches. Elle élimine aussi toute une série de déductions fiscales pour les plus grandes entreprises.
La réforme devrait permettre à l’Etat colombien de réduire son déficit fiscal pour atteindre 4,3% en 2023 (contre 8% en 2020) et financer les réformes sociales que le nouveau président Petro souhaite mettre en place. L’impact de cette réforme sur l’industrie pétrolière pourrait cependant rendre le pays moins attractif pour les investisseurs, alors que ce secteur reste la première ressource de revenus pour l’Etat colombien.
La reforma tributaria ya es ley de la República
El Colombiano, 13 décembre 2022
Costa Rica 🇨🇷
Suite à une rencontre avec le conseiller américain Chris Dodd, à San José, le président Rodrigo Chaves a exprimé le souhait de voir le Costa Rica intégrer un jour l'accord commercial USMCA (anciennement l’ALENA) qui réunit les Etats-Unis, le Canada et le Mexique. Le gouvernement costaricien a en effet engagé des pourparlers “exploratoires” à cet effet avec le gouvernement américain.
L’entrée dans l’USMCA renforcerait significativement les liens commerciaux du pays d’Amérique centrale avec les Etats-Unis. Les Etats-Unis représentent 38% des importations du Costa Rica et 42% de ses exportations et constituent donc le premier partenaire commercial du pays. D’importants investissements ont été récemment réalisés par des firmes américaines dans le secteur stratégique des micro-processeurs au Costa Rica2, favorisant un rapprochement entre les deux pays.
Le Costa Rica fait aujourd’hui partie de dix accords commerciaux bilatéraux et cinq accords multilatéraux. Le pays négocie actuellement un traité de libre-échange avec l’Equateur et une entrée dans l’Alliance du Pacifique.
Costa Rica seeks entry to North America trade pact
Reuters, 14 décembre 2022
Pérou 🇵🇪
Suite à la destitution du président Pedro Castillo la semaine dernière, la crise institutionnelle s’intensifie au Pérou. La présidente Dina Boluarte, contestée, a déclaré un état d’urgence de 30 jours dans tout le pays ce mercredi 14 décembre. L’état d’urgence doit mettre fin aux manifestations qui ont éclaté dans le pays, en soutien à Pedro Castillo. Les manifestants réclament le retour de l’ex-président et le remplacement de tous les membres du Congrès. La répression violente de ces manifestations a causé la mort de 10 personnes.
Dina Boluarte, qui a prêté serment en tant que présidente pour remplacer Pedro Castillo jusqu’en 2026, est sous pression. Sa légitimité est remise en cause par les soutiens de Castillo. Elle a annoncé en début de semaine que des élections présidentielles pourraient être avancées à 2024 mais cela n’a pas apaisé les tensions. Ce mercredi, elle a annoncé que ces élections pourraient avoir lieu en décembre 2023.
Peru declares 30-day state of emergency amid protests at president’s arrest
The Guardian, 14 décembre 2022
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Comprehensive and Progressive Agreement for Trans-Pacific Partnership. Partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP) en français.
L’entreprise Intel a rapatrié ses activités d’Asie vers le Costa Rica en 2020 et a consenti des investissements jusqu’à 600 millions de dollars US pour les activités liées aux micro-processeurs.