Vers un tournant stratégique en Amérique latine ?

Longtemps éloignée des zones de conflits militaires traditionnels, l’Amérique latine est aujourd’hui le théâtre d’une “militarisation” inédite; une tendance qui s’accélère depuis ces dernières semaines et l’intervention américaine au large du Venezuela. 

 
Le destroyer américain USS Sampson au terminal Amador International de Panama City - Photo : Daniel Gonzalez/Getty Images

Le destroyer américain USS Sampson au terminal Amador International de Panama City - Photo : Daniel Gonzalez/Getty Images

 

En effet, depuis le mois d’août, l’administration de Donald Trump a pris des mesures radicales visant le Venezuela et notamment plusieurs réseaux criminels, dans une stratégie de “pression maximale” contre le régime de Nicolas Maduro. Depuis son retour au pouvoir, Donald Trump a fait reconnaître officiellement le Cartel de los Soles et le Tren de Aragua, deux cartels vénézuéliens, comme des organisations terroristes. En août, le président américain a signé un decret autorisant le Pentagone à utiliser la force contre les cartels latino-américains. Ces dernières semaines, des navires de guerre américain ont été déployés dans les Caraïbes et des frappes ont été menées au large du Venezuela contre des embarcations de fortune soupçonnées de transporter de la drogue.

Cette escalade des tensions entre les deux pays est inédite et démontre la volonté de l’administration Trump non seulement de lutter contre le trafic de drogue dans la région mais aussi de faire tomber le régime de Nicolas Maduro. La récompense pour l’arrestation de Nicolas Maduro offerte par l’administration américaine a même été doublée par Donald Trump, passant de 25 a 50 millions de dollars US.

Si la présence navale américaine n'est pas jugée suffisante pour une invasion terrestre d'un pays de la taille du Venezuela, elle soulève des questions quant aux véritables intentions de Washington. L'objectif à long terme pourrait être d'obtenir un accès au pétrole stratégique vénézuélien et de consolider l'influence américaine dans la région. De son côté le régime de Maduro a récemment renforcé ses liens avec la Russie en approuvant un traité de coopération stratégique.

Au-delà de la situation au Venezuela, les enjeux de sécurité prennent une place de plus en plus significative en Amérique latine. La région, qui est déjà un terrain d’affrontement commercial entre les USA et la Chine, pourrait également devenir un terrain d’affrontement sur le plan sécuritaire entre les deux superpuissances. Doucement mais sûrement, la Chine a en effet renforcé sa présence dans les enjeux de sécurité en Amérique latine ces dernières années, au travers de son “Initiative de Sécurité Globale”. Depuis le lancement de cette stratégie en 2022 par Xi Jinping, la Chine multiplie les missions diplomatiques en Amérique latine sur les enjeux de défense et de sécurité.

En parallèle, plusieurs pays latino-américains (Argentine, Brésil, Chili, Colombie, Pérou) ont renforcé significativement leurs capacités navales ces dernières années avec un triple objectif : mieux protéger les ressources maritimes, affirmer leur souveraineté en mer et ne pas être pris de court en cas de conflit dans la région. Pour s’équiper, les gouvernements locaux font jouer la concurrence et font appel autant à des constructeurs asiatiques, américains et européens, signe d’une volonté de ne pas dépendre d’un seul acteur. Cette tendance illustre une ambition nouvelle pour les pays de la région, celle de vouloir jouer un rôle stratégique au moins à l’échelle régionale.

Enfin, ce contexte de pression américaine coïncide avec un cycle électoral majeur en Amérique latine. La région pourrait en effet connaître un “virage à droite” dans les prochains 18 mois avec 7 échéances électorales importantes :

  • 19/10/2025 : Bolivie - second tour des élections présidentielles

  • 16/11/2025 : Chili - élections présidentielles et législatives

  • 30/11/2025 : Honduras - élections présidentielles

  • 01/02/2026 : Costa Rica - élections présidentielles et législatives

  • 12/04/2026 : Pérou - élections présidentielles et législatives

  • mai 2026 : Colombie - élections présidentielles

  • octobre 2026 : Brésil - élections présidentielles et législatives

Ce tournant politique à droite s’est déjà initié en Bolivie en août où deux candidats de droite se sont hissés au second tour. Un résultat qui marque la fin d’un cycle pour le MAS, parti emblématique de la gauche latino-américaine, au pouvoir depuis plus de 20 ans en Bolivie. Au Chili, au Honduras et en Colombie, la droite est également pressentie pour succéder à un dirigeant de gauche. L’élection au Pérou reste pour l’instant très incertaine en raison d’un rejet massif de la classe politique tous bords confondus par les citoyens. Au Brésil, si Lula a déclaré vouloir se présenter à sa succession, la popularité du chef d’État dépendra beaucoup de l’évolution des relations commerciales avec Washington.

Les échecs économiques de la gauche et la montée de l'insécurité et de la violence politique (illustrée par l'assassinat de Miguel Uribe en Colombie) alimentent un mouvement favorisant les candidats de droite, qui sont souvent enclins à un « alignement » avec Washington pour s’attirer les faveurs de l'administration Trump. Ce virage à droite pourrait ainsi être une opportunité pour le gouvernement américain de renforcer sa présence en Amérique latine et notamment sur le plan sécuritaire.

Suivant
Suivant

Venezuela : vers une escalade des tensions avec Washington ?