Venezuela : vers une escalade des tensions avec Washington ?
Les récents développements entre Washington et Caracas ravivent les tensions dans la région, alors que l'administration Trump durcit le ton et adopte une stratégie militaire inédite. Accusations de narco-terrorisme, déploiements navals et frappes létales marquent une nouvelle ère dans les relations bilatérales, aux enjeux énergétiques, migratoires et de souveraineté pour toute l'Amérique latine.
Depuis plusieurs semaines, la tension est à son comble entre les États-Unis et le Venezuela, le régime de Nicolás Maduro faisant face à une pression accrue de la part de Washington. Le conflit, qui s'inscrit dans un contexte de crise politique interne et de revendications territoriales pour Caracas, se complexifie avec l'adoption d'une approche militaire par l'administration Trump.
Une “pression maximale” de la part de Washington
L'événement le plus marquant de la récente escalade est le déploiement militaire significatif et l'utilisation sans précédent de la force létale dans les Caraïbes. Ces dernières semaines, le président Donald Trump a revendiqué avoir ordonné une « frappe cinétique » contre un navire dans les eaux internationales, qui aurait transporté des « narco-terroristes » du gang Tren de Aragua, tuant onze personnes.
L'administration américaine a justifié cette opération en affirmant lutter contre des gangs criminels comme le Tren de Aragua ou le Cartel de los Soles, qui sont désormais reconnus comme Organisations Terroristes Étrangères (FTOs) par Washington suite à une décision de Trump. Lors de la 80ème Assemblée Générale des Nations Unies, le président américain s’est dit prêt à utiliser la « puissance suprême des forces armées américaines pour détruire les réseaux de trafic de terroristes vénézuéliens dirigés par Nicolás Maduro ». De son côté, le secrétaire d'État Marco Rubio a affirmé que les cartels représentent une « menace immédiate » pour la nation.
Néanmoins, cette offensive suscite de vives critiques dans la région. Le président colombien, Gustavo Petro, à la tribune de l'ONU, a accusé les États-Unis de lancer des « missiles assassins sur de jeunes pauvres dans les Caraïbes ». Petro a insisté sur le fait que l'exécution de personnes sans jugement dans des situations qui ne constituent pas un conflit armé viole le principe universel de proportionnalité de la force. Le président brésilien, Lula da Silva, a également exprimé son inquiétude face au fait que Washington ne semble plus distinguer criminalité et terrorisme. Des experts juridiques ont d'ailleurs mis en doute l'autorité légale d'utiliser une force militaire létale contre de présumés narcotrafiquants, ce qui constitue une rupture avec la pratique traditionnelle américaine.
La survie de Maduro face à la pression militaire
Décision inédite dans la région, la marine américaine a déployé dans les Caraïbes huit navires de guerre, dont des destroyers et des croiseurs équipés de missiles Tomahawk, ainsi que d'un sous-marin, le USS Newport News, opérant dans la région. L'armée prévoyait également d'envoyer dix avions de combat furtifs F-35 à Porto Rico.
En réponse à ce déploiement, que Maduro a qualifié de « plus grande menace » observée sur le continent depuis cent ans, le régime a dénoncé une attaque contre sa souveraineté. Nicolás Maduro, dont le gouvernement maintient qu'il n'est pas un acteur clé du trafic de drogue, a affirmé avoir « activé » la milice civile du Venezuela qui compterait 6 millions de membres. Des exercices militaires impliquant des systèmes de défense antiaérienne ont eu lieu pour former la milice.
Cette escalade militaire se déroule sur fond d'une crise politique interne aggravée par l'élection présidentielle contestée de 2024. Bien que l'opposition, menée par Edmundo González et Maria Corina Machado, ait revendiqué une large victoire (plus de 80% des voix), Maduro a conservé le pouvoir grâce au contrôle des institutions. Depuis, la répression s'est intensifiée, notamment par des arrestations et des accusations de conspiration et de terrorisme contre des dissidents. L'exil d'Edmundo González en Espagne, après qu'il a été contraint de reconnaître sa défaite, est considéré comme un coup dur pour l'opposition.
Scénarios futurs : L'Essequibo comme monnaie d'échange ?
Si la flottille américaine n'est pas jugée suffisante pour une invasion terrestre d'un pays de la taille du Venezuela, elle soulève des questions quant aux véritables intentions de Washington. L'objectif pourrait être d'obtenir un accès au pétrole stratégique vénézuélien et de consolider l'influence américaine dans la région.
L'escalade militaire pourrait entraîner de graves conséquences régionales, notamment une nouvelle vague d'émigration vénézuélienne, venant s'ajouter aux près de huit millions de personnes ayant fui depuis 2014. Par ailleurs, l'utilisation de la force pourrait compromettre la coopération récemment rétablie entre Washington et Caracas concernant les déportations de ressortissants vénézuéliens.
Face à la pression, Maduro pourrait utiliser des menaces sur d'autres fronts pour obtenir des concessions. Le renforcement de la présence militaire vénézuélienne sur l'île d'Ankoko, à la frontière de la région disputée de l'Essequibo (administrée par le Guyana mais revendiquée par Caracas), pourrait servir de diversion stratégique. L'administration Trump, préoccupée par le risque d'un conflit régional, pourrait être prête à « relâcher la pression sur Nicolas Maduro » en échange d'une désescalade concernant l'Essequibo. L'avenir des tensions dépendra donc de l'efficacité de cette pression et de la capacité de Maduro à maintenir l'équilibre entre la répression interne et les menaces externes.
Dans ce contexte, les autres pays d'Amérique latine ne doivent pas rester passifs. La région doit assumer un rôle actif pour protéger son autonomie et s'assurer que les changements au Venezuela ne soient pas dictés exclusivement par Washington.