Chili : un duel Jara - Kast au second tour
Les résultats du premier tour des élections présidentielles au Chili qui se déroulaient ce dimanche 16 novembre ont globalement respecté les sondages puisque les deux favoris José Antonio Kast (Parti Républicain) et Jeannette Jara (Front de Gauche) sont arrivés en tête. Avec 99% des votes dépouillés, Jeannette Jara est arrivée en tête du scrutin avec 26,9% des voix, devançant de quelques points José Antonio Kast avec 23,9% des voix.
Un scrutin marqué une forte participation
L’écart entre les deux principaux candidats est cependant moins important que prévu. Dans son dernier sondage du 14 novembre, l’institut CADEM prévoyait un score de 29% pour Jeannette Jara et de 22% pour José Antonio Kast. Les résultats de ce dimanche représentent d’une certaine manière une déception pour la gauche, qui espérait un meilleur score pour pouvoir faire face au rassemblement des droites au second tour.
Le vote a été marqué par un taux de participation de 85% soit le plus élevé depuis le retour de la démocratie en 1990. Il s’agissait des premières élections où le vote était obligatoire et pour lequel l’inscription sur les listes électorales avait été automatisée via recensement.
Lors de ce scrutin, les Chiliens votaient également pour le renouvellement de la Chambre des députés et d’une partie du Sènat. Là aussi, la gauche recule, perdant 16 sièges (sur 155) de députés au profit de la droite. Les différents mouvements de droite totalisent 76 sièges soit un résultat légèrement insuffisant pour disposer une majorité.
Les scrutins montrent une vraie “territorialisation” du vote : Jeannette Jara est arrivée en tête dans la Région métropolitaine de Santiago et la région de Magallanes à l’extrême Sud du pays. José Antonio Kast a globalement bien performé dans tout le pays mais arrive en tête dans les régions agricoles du Sud du pays. Franco Parisi s’est hissé en tête au coude à coude avec José Antonio Kast dans les régions minières du Sud du pays.
La seule vraie surprise du scrutin est l’arrivée en troisième place de Franco Parisi, candidat antisystème, qui a surperformé par rapport aux enquêtes d’opinion en enregistrant 19,7% des voix. Il devance ainsi Johannes Kaiser (extrême droite) et Evelyn Matthei (droite modérée) qui étaient tous les deux attendue à la troisième place. Franco Parisi, qui se définit ni de droite ni de gauche, a réussi à obtenir un score élevé grâce à un discours antisystème. Son score peut être expliqué en partie par un mouvement de rejet et d’insatisfaction des Chiliens vis-à-vis de la classe politique actuelle (le vote étant obligatoire au Chili). Franco Parisi a aussi vu sa côte monter sur les dernières semaines de la campagne lorsqu’il a pris la défense du secteur minier et abordé des sujets comme la protection des frontières (notamment au Nord du pays) et la lutte contre la criminalité.
Un duel attendu entre deux modèles opposés
Le second tour opposera donc, comme prévu, deux modèles opposés : celui de la continuité et de la gauche progressiste incarné par Jeannette Jara, face à celui de la droite conservatrice et d’un changement radical incarné par José Antonio Kast. La candidate de gauche s’est appuyé sur son bilan positif en tant qu’ex-Ministre du travail dans le gouvernement Boric. C’est elle qui a piloté les principales réformes (et réussites) du gouvernement sortant, en particulier la réduction du temps de travail hebdomadaire, la revalorisation du salaire minimum et une redistribution plus juste des pensions de retraites. Elle promet d’aller encore plus loin si elle est élue présidente en augmentant à nouveau le salaire minimum. José Antonio Kast, a axé sa campagne sur la lutte contre la criminalité et l’immigration clandestine et a réussi à en faire le principal sujet des débats présidentiels. Il propose des mesures radicales pour expulser les immigrés clandestins et se montre très conservateur sur les thématiques sociales comme l’avortement.
Pour beaucoup d’analystes, les résultats du premier tour laissent penser que José Antonio Kast pourrait l’emporter plutôt facilement au second tour étant donné le report des voix de droite dont il devrait bénéficier. Dès l’annonce des résultats, Evelyn Matthei et Johannes Kaiser ont annoncé leur soutien à José Antonio Kast. De son côté, même si Franco Parisi a refusé pour l’instant de donner des indications de vote, il semble probable qu’une majorité de ses électeurs choisissent de voter pour José Antonio Kast, qui représente l’alternance face à Jeannette Jara.
Tournant conservateur
Dans son discours de dimanche soir, José Antonio Kast a promis de “reconstruire” le pays et, à la manière de Donald Trump, de procéder dès les premiers jours de son mandat à des expulsions massives d’immigrés clandestins. L’élection de José Antonio Kast représenterait un tournant conservateur jamais vu au Chili depuis le retour à la démocratie en 1990. Jusque-là, les Chiliens avaient élus des chefs d’État de droite et de gauche plutôt modérés.
Néanmoins, plusieurs tendances expliquent cette montée des mouvements de droite au Chili, de plus en plus radicaux et conservateurs. Tout d’abord, les crises économiques et humanitaires en Haïti et au Venezuela ont engendré une migration “inhabituelle” au Chili, et qui est aujourd’hui devenu le principal sujet de la campagne présidentielle. Pour les différents mouvements de droite, l’immigration clandestine explique la hausse de la criminalité ces dernières années, dans un pays pourtant relativement sûr. Au Chili, le taux d’homicide a augmenté de 2,5 à 6 pour 100.000 habitants en dix ans et 868 enlèvements ont été recensés en 2024, soit une hausse de 76% par rapport à 2021. Ces faits sont aussi largement relayés par les médias locaux et contribuent à exacerber le sentiment d’insécurité dans le pays.
Qui plus est, le pays reste traumatisé par l’estadillo social d’octobre 2019 où des manifestations en faveur d’une plus grande justice sociale avaient été violemment réprimées par la police, faisant 7 morts et plus de 3.000 blessés. Ce mouvement social avait débouché sur une proposition de révision de la Constitution et l’élection en 2021 de Gabriel Boric, incarnant un renouveau et une nouvelle gauche, qualifiée par certains de radicale. Cette victoire de la gauche progressiste chilienne a été perçue par les mouvements de droite comme une menace pour leurs intérêts et privilèges, pour la stabilité économique du pays. José Antonio Kast, déjà candidat en 2021 affirmait alors que Gabriel Boric allait transformer le pays en “nouveau Venezuela”, via des nationalisations d’entreprises et des impôts punitifs. Quatre ans plus tard, force est de constater que ces arguments étaient exagérés. Néanmoins, ils illustraient une inquiétude grandissante de la part de la droite chilienne, qui s’est radicalisée petit à petit en demandant davantage d’ordre dans le pays et en particulier plus de fermeté face à la criminalité. Sur ce point, José Antonio Kast revendique d’ailleurs l’héritage de la dictature de Pinochet.
Sauf surprise, le Chili devrait donc connaître un virage à droite radical le 14 décembre prochain, date du second tour de l’élection présidentielle. Ce virage conservateur correspond aussi à une tendance régionale. José Antonio Kast s’inscrit dans la lignée des Jair Bolsonaro, Nayib Bukele, Javier Milei, Daniel Noboa : des présidents conservateurs, voire autoritaires, qui assument un discours et des méthodes radicales pour lutter contre l’immigration et la criminalité.