Accord USA - Argentine : une soumission commerciale actée ?
Les États-Unis et l’Argentine ont annoncé le 13 novembre dernier avoir conclu un accord commercial visant à réduire les tarifs et barrières douanières entre les deux pays.
Comme la plupart des pays sud-américains, l’Argentine s’était vu imposée des tarifs de 10% par l’administration Trump en avril 2025. Depuis, des négociations commerciales se sont engagées tous azimuts pour Washington, qui a fait de sa politique commerciale un véritable instrument de “coercition” ; chaque pays craignant d’être le perdant de cette recomposition du commerce international. Le cas de l’Argentine ne fait pas exception à la règle. Le Framework for an Agreement on Reciprocal Trade and Investment signé entre les deux pays est fondamentalement géopolitique mais correspond aussi à un alignement politique entre les deux gouvernements en place.
En effet Donald Trump et Javier Milei se sont rapprochés ces derniers mois. Le président américain a apporté son soutien à son homologue argentin quelques semaines avant des élections législatives décisives et le Trésor américain s’est engagé à soutenir financièrement les réformes de Javier Milei. Un soutien de taille pour le président argentin qui était en difficulté ces derniers mois. Par ailleurs Javier Milei affirme depuis longtemps son alignement idéologique avec le modèle néo-libéral - à l’inverse, il critique le modèle chinois - et a répété à plusieurs reprises son admiration pour Donald Trump. Les réformes qu’il a mis en place depuis son élection ont visé à ouvrir le marché argentin aux entreprises étrangères et en particulier américaines. L'Argentine représente donc un allié précieux pour Donald Trump en Amérique du Sud et des opportunités de marché pour les entreprises américaines. Washington à tout à gagner à ce que l’économie argentine se relève de façon durable.
USA - Argentine : un accord déséquilibré
Comme beaucoup de “deals” signés par Washington avec d’autres pays, l'accord signé entre les deux pays n’est qu’un “framework”, c’est-à-dire qu’il ne rentre pas pour l’instant dans les détails mais qu’il établit un cadre de discussions pour le développement des relations commerciales et des investissements. La première base de ces discussions est l’abaissement des tarifs et des engagements réciproques :
Dans le cadre de cet accord, l'Argentine consent à des concessions significatives en matière d'accès au marché, de réglementation et de souveraineté numérique, perçues par certains comme une “soumission” à Washington :
L’Argentine s’engage à accorder un accès préférentiel aux biens américains dans de nombreux secteurs (médicaments, produits chimiques, machines, produits technologiques, dispositifs médicaux, automobiles). Le marché argentin s'ouvre spécifiquement à l'importation de bétail vivant, de volaille, de viande de porc et de produits laitiers américains.
Le pays s’engage également à une réforme structurelle de son régime de propriété intellectuelle et à accepter de façon automatique les certifications de médicaments délivrées par la Food and Drug Administration (FDA).
L'Argentine s'engage à reconnaître les États-Unis comme une juridiction adéquate pour le transfert transfrontalier de données (y compris les données personnelles) et établit que les États-Unis sont une juridiction valide pour stocker des données de citoyens argentins.
Dans l’autre sens, les États-Unis offrent certains avantages ciblés, avec des garanties juridiquement non-contraignantes :
Washington proposer de supprimer les tarifs douaniers sur "certaines ressources naturelles non disponibles" sur leur territoire et dont les États-Unis ont besoin de façon urgente : lithium, cuivre, uranium, terres rares.
Les États-Unis promettent la suppression du tarif de 10% imposé sur la viande argentine. Cependant, c’est le fonctionnement historique qui s’appliquerait avec un tarif de 25% hors quota, établi par le Congrès. Il s’agit d’un point clé pour l'Argentine qui a pour objectif d'élargir "significativement" l'accès de la viande bovine à ce marché.
Les concessions de l’Argentine sont donc importantes et soulèvent en effet des questions en termes de souveraineté économique, normative et technologique. En particulier, l’ouverture du marché à l’agro-industrie américaine est un vrai sujet de controverse pour les agriculteurs argentins. La suppression du tarif de 10% sur l’importation de viande bovine est une maigre compensation offerte par Washington.
De plus, l'accord ne garantit pas explicitement de nouvelles vagues d'investissements. Bien que le gouvernement argentin ait promis que l'accord "crée des conditions pour attirer l'investissement", le texte ne contient que des déclarations d'intention, sans nouvelles garanties ou mécanismes, au-delà des protections déjà offertes par le Traité Bilatéral d'Investissement de 1994 et le Régime d'Incitations aux Grands Investissements (RIGI). L'investissement dépendra donc surtout de la stabilité macroéconomique de l’Argentine.
USA - Amérique latine : d’autres accords conclus par Washington
Le 13 novembre dernier, la Maison Blanche a également annoncé des accords commerciaux similaires (“Frameworks”) avec d’autres pays d’Amérique latine : Équateur, Guatemala et Salvador. Là aussi il s’agit d’accords avec des gouvernements plutôt alignés avec l’administration Trump.
L’objectif semble clair pour Washington : ces accords servent à réaffirmer l’influence américaine dans l’hémisphère occidental, où la Chine est devenue ces vingt dernières années un fournisseur et un investisseur de premier plan. L’administration Trump vise à contrer la présence chinoise en re-calibrant les chaînes d’approvisionnement et en remettant dans le giron des États-Unis les pays de la région.
En Équateur, au Guatemala et au Salvador, Washington accorde des ajustements tarifaires sur certains produits en particulier dans les secteurs de l’agriculture et du textile. Mais ces avantages sont conditionnés. Les “deals” montés par Donald Trump constituent aussi un moyen de coercition pour forcer ces pays à accepter les exigences américaines, en particulier sur la lutte contre l’immigration illégale puisque le Salvador et le Guatemala sont à l’origine d’importants flux migratoires vers les États-Unis.
L’administration Trump a jusque-là négocier des “deals” avec la plupart des pays latino-américains. Les discussions sont toujours en cours avec le Mexique et le Brésil, les deux économies les plus importantes d’Amérique latine. Les gouvernements de Lula et de Claudia Sheinbaum ont montré une certaine résistance à négocier avec Donald Trump mais devraient finir par se mettre d’accord avec le président américain. Donald Trump aura alors réussi à assurer un alignement commercial de la région avec les États-Unis, par la force.