Chili : victoire surprise de Jeannette Jara aux primaires

Au Chili, les résultats des élections primaires du 29 juin 2025 ont propulsé Jeannette Jara comme candidate de la gauche, modifiant la trajectoire perçue pour l'élection présidentielle de novembre 2025. Alors que le pays semblait s'acheminer vers un retour à une forme de gouvernement plus modérée et stable, incarnée par la figure de centre-droit Evelyn Matthei, les primaires de la gauche ont ouvert la voie à une nouvelle dynamique potentiellement plus polarisée.

Jeannette Jara a remporté les élections primaire de la gauche au Chili

La surprise de la primaire à gauche : l'ascension de Jeannette Jara

La large victoire de Jeannette Jara, candidate du Parti Communiste du Chili, au sein de la coalition de gauche Unidad por Chile (UC), constitue une surprise politique. Le 29 juin, Jara a remporté la primaire haut la main, obtenant 60,16% des voix, et devançant de loin Carolina Tohá, représentante du centre-gauche (28,07%), auparavant perçue comme favorite. Bien que le taux de participation ait été relativement faible, avec environ 1,4 million d'électeurs, ce résultat est un coup dur pour le centre-gauche chilien traditionnel et laisse penser que l’éléction présidentielle de novembre 2025 sera plus polarisée que prévue. 

Membre du Parti Communiste chilien depuis qu’elle a 14 ans, Jeannette Jara était ministre du Travail sous l'administration du Président actuel Gabriel Boric depuis mars 2022, incarnant la voix de la "gauche dure" au sein du gouvernement. Elle a été à la tête de plusieurs avancées sociales importantes passées par l’administration Boric et notamment une augmentation de plus de 50% du salaire minimum depuis 2022, la réduction de la semaine de travail à 40 heures, et une réforme des retraites ambitieuse qui a étendu la couverture et le montant de la pension universelle minimale. Ces succès lui ont octroyé un crédit politique solide.

Ses propositions pour l'élection présidentielle incluent une augmentation encore plus importante du salaire minimum, la volonté de nationaliser l’exploitation des minerais critiques, l’élimination progressive de système de retraites privé et une augmentation de la taxation des hauts revenus. En matière de politique étrangère, elle a appelé à la suspension des relations diplomatiques avec Israël et a qualifié le régime de Cuba de "démocratie différente de la nôtre", tout en reconnaissant que le Venezuela était un régime autoritaire.

La droite en position favorable

Malgré cette victoire de Jeannette Jara, les sondages indiquent depuis plusieurs mois que le prochain président sera certainement issu de la droite. Le Chili est en effet pressenti pour opérer un virage vers la droite après le mandat de Gabriel Boric.

Le contexte d'un virage conservateur en réaction à l'ère Boric

Plus qu’une alternance politique, ce virage semble être une réaction profonde aux événements des dernières années. Le conservatisme modéré qui avait caractérisé la politique chilienne après le retour à la démocratie en 1990 a en effet été ébranlé par l’estadillo social, les vastes protestations de 2019 contre les inégalités. Ces mouvements sociaux ont ouvert la voie à l'élection du président de gauche Gabriel Boric en 2021, qui promettait une refonte du pays, y compris une nouvelle constitution.

Pour une partie de l'électorat, en particulier les secteurs plus conservateurs et la droite modérée, l'arrivée au pouvoir de Boric et les projets de transformation radicale ont été perçus comme un "choc" et une menace pour l'ordre établi. L'idée que les "privilèges" ou du moins les fondations économiques et sociales établies depuis des décennies étaient en péril a alimenté une forte réticence. Le processus de réforme constitutionnelle, qui a vu deux propositions (une de gauche, une de droite) rejetées par les électeurs en 2022 et 2023, a contribué à un sentiment d'incertitude et de désillusion face aux politiques progressistes.

De plus, le bilan de l'administration Boric en matière de sécurité est jugé largement insuffisant, avec une hausse des taux d'homicides d'environ 42% entre 2018 et 2023, faisant de l’insécurité la préoccupation majeure des Chiliens. Cette incapacité perçue à maintenir l'ordre et la sécurité a renforcé l'argument de la droite selon lequel les politiques de gauche n'étaient pas efficaces pour les problèmes quotidiens des Chiliens. Dans ce climat, la droite est devenue de plus en plus intransigeante et affirmée. Des figures comme Johannes Kaiser et José Antonio Kast incarnent la montée d’un conservatisme débridé et qui a gagné en popularité.

Ce durcissement de la droite s'est manifesté par des fragmentations au sein des partis traditionnels. José Antonio Kast a fondé le Parti Républicain en 2019, rompant avec l'Union Démocrate Indépendante (UDI) pour proposer une ligne plus conservatrice. Johannes Kaiser, lui-même initialement membre du Parti Républicain, a ensuite créé son propre Parti National Libertaire en 2024, cherchant un conservatisme encore "plus pur" et refusant tout compromis ou négociation avec la gauche.

L’éléction de Jeannette Jara aux primaires de la gauche confirme ainsi ce phénomène de polarisation du paysage politique au Chili à gauche comme à droite.  Les candidats “modérés” ne sont pas nombreux.

Les figures de la droite chilienne

Plusieurs figures de droite se distinguent pour l'élection présidentielle de novembre 2025 :

  • Evelyn Matthei (centre-droit, Chile Vamos/UDI) : elle était jusque-là la favorite des sondages. Décrite comme une figure technocratique et modérée, elle prône "moins d'idéologie, plus de pragmatisme" et promet de réduire les dépenses du gouvernement et les impôts des entreprises. Elle est perçue par certains comme une candidate capable de discuter avec les deux extrêmes. Cependant, certaines de ses déclarations récentes ont fait polémique et son avance dans les sondages a diminué. 

  • José Antonio Kast (extrême-droite, Partido Republicano/PR) : il maintient une forte position dans les sondages. Ayant perdu face à Boric au second tour en 2021, il est cette fois-ci mieux placé pour l'emporter, étant donné le déplacement du centre politique vers la droite. Il possède une base de soutien solide qui pourrait le propulser au second tour, potentiellement face à Jara.

  • Johannes Kaiser (libertaire anti-establishment, Partido Nacional Libertario/PNL) : décrit comme un "libertaire radical", Kaiser gagne en popularité et a même été en tête d'un sondage récent. Ouvertement anticommuniste, il a déclaré que le communisme représente un "risque pour l'avenir démocratique du pays". Sa montée est le résultat d'une réaction au mouvement de protestation de 2019, et il critique la gauche pour son soutien à la migration illégale. Ses priorités, s'il est élu, seraient de lutter contre la criminalité, de contrôler les frontières et d'expulser les immigrants illégaux. Il s'est opposé à la participation à une primaire avec Matthei et a vivement critiqué le soutien de Chile Vamos à la réforme des pensions de Boric.

Vers un duel des extrêmes ?

La victoire de Jara suggère que la vague anti-establishment, autrefois prédominante à droite, trouve désormais un écho à gauche. Cela pourrait laisser le centre politique de plus en plus désert et indique une course à la présidence plus polarisée lors de l’échéance de novembre 2025.

Pour Jeannette Jara, le chemin vers la présidence sera semé d'embûches. Son étiquette communiste semble constituer un obstacle majeur, susceptible de rencontrer une forte opposition de la part de nombreux électeurs mal à l'aise avec les politiques radicales. Elle devra également naviguer dans le contexte des faibles taux d'approbation du Président Boric (32% fin juin, avec 61% de désapprobation). Sa campagne cherchera probablement à mettre l'accent sur des promesses économiques pour séduire les électeurs frustrés par le coût de la vie élevé et les opportunités d'emploi limitées.

Cependant, l'élection devrait surtout se concentrer sur la question de l’insécurité, qui constitue un point faible traditionnel pour la gauche. En effet, le bilan de l'administration Boric en matière de sécurité est jugé insuffisant, et la préoccupation concernant la criminalité reste le problème le plus important pour les électeurs.

Le paysage politique chilien semble ainsi se diriger vers un affrontement intense. La victoire de Jeannette Jara a non seulement dynamisé la gauche radicale du pays, mais a également accentué la polarisation. Le gouvernement de Gabriel Boric, malgré ses efforts pour un compromis, notamment sur la réforme des pensions qui a rassuré les marchés et permis la progression de législations favorables aux entreprises, est perçu par beaucoup comme trop à gauche. Cela renforce la position de la droite. La question cruciale demeure de savoir quelle facette de la droite prévaudra : la ligne plus modérée et pragmatique d'Evelyn Matthei, ou les courants plus radicaux représentés par José Antonio Kast et Johannes Kaiser. Le Chili, traditionnellement connu pour sa politique modérée, se trouve à un carrefour qui pourrait le ramener à un "duel des extrêmes".

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