Tensions USA-Brésil : les tarifs de Trump poussent Brasília vers Pékin

Dans un paysage géopolitique en profonde mutation, les relations entre le Brésil et les États-Unis connaissent une période de vives tensions, exacerbées par la politique commerciale aggressive de Donald Trump. Cette situation pousse le géant sud-américain à resserrer ses liens avec son principal partenaire commercial, la Chine, ouvrant la voie à des projets d'infrastructure ambitieux et redessinant les équilibres d'influence en Amérique du Sud.

 
Les relations entre le Brésil et les États-Unis connaissent une période de vives tensions. Photo: © Eraldo Peres, Julia Demaree Nikhinson/AP/Montage RFI

Les relations entre le Brésil et les États-Unis connaissent une période de vives tensions. Photo: © Eraldo Peres, Julia Demaree Nikhinson/AP/Montage RFI

 

L'éclatement des tensions commerciales : le Brésil directement visé

Le 9 juillet dernier, le président américain Donald Trump a annoncé une augmentation drastique des droits de douane sur les importations brésiliennes, les portant à 50%, depuis le 6 août. Le pays était jusque-là relativement épargné par la politique commerciale américaine puisque Donald Trump avait indiqué un tarif douanier de 10% à l’encontre du Brésil (même si l’économie avait éte impacté par des tarifs sur l’acier annoncés au printemps). La décision du président américain a fait l’effet d’un électrochoc pour le gouvernement brésilien. D’autant plus que Donald Trump l’a justifié comme une rétribution politique liée aux poursuites judiciaires contre l'ancien président brésilien de droite, Jair Bolsonaro. Bolsonaro est actuellement jugé pour avoir tenté d'orchestrer un coup d'État après sa défaite électorale en 2022 face à Luiz Inácio Lula da Silva.

En réaction, le président brésilien, Luiz Inácio Lula da Silva, a riposté, déclarant que Trump avait été élu comme dirigeant des États-Unis et "non pour être l'empereur du monde". Lula a réaffirmé l'indépendance du pouvoir judiciaire brésilien, soulignant que le destin de son prédécesseur ne pouvait faire partie des négociations commerciales. Il a insisté sur le fait que le Brésil n'accepterait aucune imposition et qu'il restait ouvert à la négociation, tout en promettant des tarifs de réciprocité si Trump mettait ses menaces à exécution. Cette position est d'autant plus pertinente que, contrairement aux affirmations de Trump, les États-Unis ont en réalité un excédent commercial d'environ 6,8 milliards de dollars avec le Brésil en 2024, et non un déficit.

La Chine a également condamné la démarche de Trump, déclarant que "les tarifs ne devraient pas être un outil de coercition, d'intimidation ou d'ingérence". Parallèlement, les États-Unis ont lancé une enquête sur ce qu'ils considèrent comme des "pratiques commerciales déloyales" de la part du Brésil, visant le commerce numérique, les services de paiement électronique, les tarifs préférentiels et la protection de la propriété intellectuelle.

L'imposition de tarifs douaniers de 50% sur les marchandises brésiliennes est perçue comme un coup dur pour les secteurs clés de l'exportation brésilienne vers les États-Unis, notamment l’aéronautique, les pièces automobiles, le café et le jus d'orange. Cette mesure est particulièrement préoccupante pour l'industrie du café aux États-Unis, qui se fournit largement au Brésil: 30% des importations américaines de café viennent du Brésil. Pour de nombreux experts, cette décision pourrait entrainer une hausse importante des prix pour les consommateurs américains. Les marges bénéficiaires des torréfacteurs étant déjà minces, une telle augmentation des coûts (jusqu'à 30% pour le café) serait intenable sans une répercussion sur le prix de vente final. L'industrie américaine du café dépend fortement des grains brésiliens pour la base de ses mélanges, et les partenariats établis de longue date rendent difficile un simple changement de fournisseur.

La Chine : un partenaire stratégique clé pour le Brésil face aux turbulences américaines

L'escalade des tensions avec les États-Unis devrait inévitablement pousser le Brésil à se rapprocher encore davantage de la Chine. Les experts estiment que la relation entre le Brésil et la Chine est "beaucoup plus positive et prometteuse", la Chine étant devenue le plus grand marché d'exportation du Brésil depuis 2009. Lula a d'ailleurs qualifié la relation entre les deux pays d'"indestructible" et de "partenaires indispensables", insistant sur l'importance de travailler ensemble pour faire respecter le "Sud global". Preuve de cette relation qui se renforce, la Chine a récemment apporté explicitement son soutien au Brésil face à la décision de Donald Trump.

L'influence économique de la Chine en Amérique du Sud est déjà considérable. Le port de Chancay au Pérou, dont l'inauguration est prévue en 2024 avec un investissement de plus de 3,5 milliards de dollars, en est un exemple frappant. Ce port sera le premier port à grande échelle opéré par la Chine en Amérique du Sud et est projeté comme un axe logistique fondamental pour toute la région.

Dans ce contexte, le Brésil et la Chine ont franchi une étape stratégique avec la signature d'un protocole d'accord pour avancer dans les études techniques d'un projet ferroviaire bio-océanique. L'idée de ce train n'est pas nouvelle, discutée depuis plus de 20 ans, mais elle a été relancée avec force après les réunions entre les présidents Lula et Xi Jinping en 2024.

Ce projet ambitieux prévoit la construction d'un train d'environ 3 000 kilomètres qui reliera le littoral atlantique brésilien (notamment l'État de Bahia et le port de Santos) au mégaport de Chancay au Pérou, sur l'océan Pacifique. Il traverserait l'Amazonie et les Andes, bien que les détails du tracé soient encore à l'étude. Le financement serait en partie assuré par la Chine, avec une mention d'un investissement initial de Beijing de 3,5 milliards de dollars. L'objectif principal de ce corridor ferroviaire est de faciliter la sortie des produits sud-américains, tels que le soja et les minerais, vers le marché asiatique. Pour le Brésil, cela permettrait d'optimiser les temps et les coûts logistiques en évitant les trajets plus longs via le canal de Panamá ou le détroit de Magellan.

Ce projet s'inscrit dans le cadre plus large des investissements chinois au Brésil, qui ont dépassé les 73 milliards de dollars depuis 2007, ciblant des secteurs stratégiques comme l'énergie, les infrastructures, l'agro-industrie et la technologie.

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