Bolivie : virage à droite historique
Le premier tour de l'élection présidentielle en Bolivie ce dimanche 17 août a été marqué par la fin de près de vingt ans de domination du Mouvement vers le Socialisme (MAS), le parti de gauche au pouvoir. Pour la première fois de son histoire, le pays andin se dirige vers un second tour présidentiel qui verra s'affronter deux candidats de droite, un développement qui confirme une demande de renouvellement politique en Bolivie.
Rodrigo Paz Pereira est arrivé en tête du premier tour de l’élection présidentielle en Bolivie le 17 août - Photo : AFP
Rodrigo Paz Pereira créé la surprise
Les résultats préliminaires, basés sur plus de 92% des bulletins dépouillés ont porté en tête le sénateur de centre-droit Rodrigo Paz Pereira, âgé de 57 ans,avec 32,1% des voix. Un résultat qui constitue une réélle suprise alors que le candidat avait commencé la campagne avec seulement 3% de soutien dans les sondage. Le succès de Paz Pereira est attribué, selon les analystes, à la présence de son colistier, l'ancien capitaine de police Edman Lara Montaño, connu pour avoir dénoncé la corruption policière, et à son discours anti-corruption fort, symbolisé par son slogan : "Nous combattrons la corruption de front, bon sang !".
En deuxième position, se qualifiant également pour le second tour, l'ancien président de droite Jorge "Tuto" Quiroga, 65 ans, a obtenu 26,9% des voix. Quiroga, qui a brièvement dirigé le pays en 2001, a salué une "nuit historique" pour tous les Boliviens.
Le second tour est désormais fixé au 19 octobre, car aucun candidat n'a réussi à obtenir plus de 50% des voix, ni au moins 40% avec une avance de 10 points sur le deuxième.
Du côté de la gauche, les résultats ont été historiquement mauvais, soulignant une débâcle électorale. Le candidat du MAS, Eduardo del Castillo, l'actuel ministre de l'Intérieur du président Luis Arce (qui ne s’est pas représenté), n'a recueilli que 3,15% des voix. Un résultat dérisoire comparé aux plus de 50% obtenus par Arce et l’ancien président Evo Morales lors des précédents scrutins et qui leur avait assuré la victoire au premier tour. Le sénateur Andrónico Rodríguez, 36 ans, qui a quitté le MAS pour se présenter avec une petite coalition, a terminé quatrième avec un peu plus de 8%.
Autre fait marquant de ce scrutin, les bulletins nuls et non valides ont été très nombreux, atteignant 19,1% du total, bien au-dessus de la moyenne historique des élections boliviennes (en général inférieure à 5%). Une situation qui s’explique par l'appel de l'ancien président Evo Morales à voter nul, en signe de protestation contre les décisions des tribunaux constitutionnel et électoral qui l'ont empêché de se représenter et briguer un quatrième mandat. Morales, visé par un mandat d'arrêt avait qualifié l’élection d'"illégitime" et "sans le peuple".
Enfin, le magnat des affaires Samuel Doria Medina, 66 ans, qui avait dominé les sondages pendant une grande partie de la campagne, a terminé troisième avec environ 20% des voix et a rapidement annoncé qu'il soutiendrait Paz Pereira au second tour.
Un contexte politique et économique fragile
L’élection s'est déroulée dans un climat de crise économique sans précédent en Bolivie, la pire depuis quatre décennies. Le pays est confronté à des pénuries de dollars et de carburant, ainsi qu'à une inflation croissante, qui approche les 25% annuellement. La population, habituée aux subventions et aux programmes sociaux, a été profondément affectée par cette situation. L'inaction perçue du gouvernement sortant du président Luis Arce face à cette crise, et notamment l'épuisement des réserves de dollars du pays pour maintenir un système coûteux de subventions aux carburants, explique donc la déroute de la gauche lors de cette élection.
Sur le plan politique, la lutte de pouvoir interne au sein du MAS entre l'ancien président Evo Morales (2006-2019) et son successeur Luis Arce a largement contribué à désorganiser le parti à l'approche du scrutin. Morales, premier chef d'État bolivien d'origine indigène, fait l'objet d'un mandat d'arrêt dans une affaire de traite de mineure, qu'il conteste, affirmant que l'affaire fait partie d'un plan du gouvernement actuel pour le détruire politiquement. Son interdiction de briguer un quatrième mandat par la Cour constitutionnelle, qui a limité les mandats présidentiels à deux, a alimenté sa campagne de dénonciation de l'illégitimité du scrutin. Même Andrónico Rodríguez, un temps perçu comme son héritier naturel, a été qualifié de traître par certains partisans de Morales après avoir lancé sa propre candidature.
La montée en puissance des candidats de droite s'explique par une forte demande de renouvellement et par la lassitude d'une partie de l'électorat, y compris d'anciens sympathisants de gauche, face à la crise et aux divisions internes du MAS. Le discours de Paz Pereira, perçu comme plus modéré et incarnant le "citoyen ordinaire", ainsi que son projet de "capitalisme pour tous", ont trouvé un large écho. Bien que Rodrigo Paz et Jorge Quiroga partagent des mesures économiques communes, telles que la fin des subventions aux carburants, une réduction de la pression fiscale et une rupture avec le modèle étatiste, leurs styles de campagne ont divergé, Paz évitant les attaques personnelles, contrairement à Quiroga.
Le futur président sera confronté à un défi majeur : appliquer les coupes budgétaires promises dans un pays où la population est habituée aux aides et subventions. Les analystes préviennent que, si ces mesures sont "faciles à promettre", la difficulté résidera à les mettre en œuvre en limitant l’impact sur le population. La volonté de changement exprimée dans les urnes pourrait offrir une brève période de grâce au prochain chef d'État pour introduire des mesures d'austérité graduelles avant des réformes plus profondes. Quel que soit le vainqueur, il devra également gouverner avec un parlement dominé par la droite mais sans majorité claire, une "fragmentation" qui pourrait compliquer la tâche du futur président. La gauche, quant à elle, devra mener une profonde introspection pour se réinventer.