CELAC : le Brésil veut relancer l'intégration régionale
Le septième Sommet de la CELAC s’est tenu cette semaine à Buenos Aires, marqué par le retour du Brésil et la volonté de Lula de redynamiser les initiatives d'intégration régionale.
Le septième Sommet de la CELAC (Communauté des Etats Latino-Américains et des Caraïbes) a réuni quinze dirigeants de la région afin de renforcer les initiatives d’intégration, dans un sommet qui marquait le retour de Lula et du Brésil sur la scène diplomatique latino-américaine.
Lula, l’un des fondateurs de la CELAC en 2010, a déclaré que le Brésil était “de retour dans la région” et prêt à réactiver des processus de régionalisation au point mort depuis plusieurs années tels que le MERCOSUR, l’UNASUR et la CELAC elle-même. Le président brésilien a rappelé que l’intégration régionale devait permettre d’établir un meilleur dialogue entre les pays et de renforcer les institutions nationales, face à une montée de l’extrême droite dans la région et les attaques contre la démocratie, rappelant les événements de Brasilia du 8 janvier dernier.
Juste avant le Sommet, Lula s’était réuni avec Alberto Fernandez, le président argentin. Les deux dirigeants se sont engagés à renforcer leurs relations bilatérales et à développer des partenariats stratégiques, notamment dans le secteur énergétique (gaz principalement) et industriel. Ils ont aussi évoqué la création d’une monnaie commune aux deux pays qui pourrait s’étendre à terme au MERCOSUR. Une proposition qui a cependant laissé de nombreux observateurs sceptiques.
Le Sommet a donné lieu à une déclaration commune réaffirmant “l'engagement des membres de la CELAC à faire avancer de manière décisive le processus d'intégration” et soulignant le besoin de soutiens financiers internationaux en faveur du renforcement des démocraties, de la lutte contre le réchauffement climatique et pour soutenir des économies durement touchées par la crise sanitaire et l’inflation.
Alors que l’année 2022 a été marquée par un nouveau “virage à gauche” dans la région, le Sommet de la CELAC devait ainsi permettre d’affirmer l’unité politique des pays d’Amérique latine et des Caraïbes, mais aussi de rétablir le leadership du Brésil dans la région. L’agenda régional reste en effet fortement dépendant du Brésil, tel que l’a montré la période 2018-2022, durant laquelle les initiatives d’intégration ont stagné, alors que le Brésil de Jair Bolsonaro tournait le dos à la région. L’ex-président du Brésil avait même décidé de quitter la CELAC en 2020 sous prétexte que cette organisation supportait des régimes autoritaires comme Cuba, le Venezuela et le Nicaragua.
Cette semaine, en privilégiant une venue au sommet de la CELAC plutôt qu’à celui de Davos, Lula a souhaité montrer son engagement en faveur de l’agenda régional. Un leadership nécessaire pour faire avancer des sujets de la plus haute importance comme la lutte contre la déforestation, l’intégration économique et la nécessité de porter une voix commune sur les crises démocratiques dans la région.
Le Sommet avait lieu alors que les démocraties latino-américaines restent fragiles, à l’image des graves crises politiques au Pérou, en Haïti, des négociations en cours au Venezuela et de la montée des autoritarismes en Amérique centrale. La majorité des dirigeants présents au Sommet ont également apporté leur soutien à Cuba et au Venezuela, critiquant la politique de sanctions économiques américaines et leur impact sur les populations.
Cependant, malgré le leadership du Brésil et le “virage à gauche” de 2022, l’alignement politique a du mal à se matérialiser concrètement. Les évènements au Pérou ont fait émergé des divergences lors du Sommet. Le président du Chili, Gabriel Boric a ainsi condamné la répression policière au Pérou et a appelé la présidente Dina Boluarte à “changer de cap”, ce qui a provoqué des tensions entre les deux pays. Il a également dénoncé le non-respect des droits de l’Homme et de la démocratie au Nicaragua, demandant à ce que les membres de l’opposition détenus par le régime de Daniel Ortega soient libérés. Une position qui ne fait pas l’unanimité au sein des membres de la CELAC.
Luis Lacalle Pou, président de l’Uruguay et l’un des seuls leaders de droite présents au Sommet, a également été critique des dirigeants de la région qui “ne respectent pas la démocratie ni les droits de l’Homme”, visant particulièrement Cuba, le Nicaragua et le Venezuela. De plus, il a demandé à ce que la régionalisation en Amérique latine ne se base pas sur un alignement idéologique politique mais plutôt sur un rapprochement économique, demandant que des actions concrètes soient prises dans ce sens :
"N'est-il pas temps d'être sincère dans nos relations et pour la CELAC de promouvoir une zone de libre-échange [...] du Mexique au sud de l'Amérique du Sud ? Ne pouvons-nous pas aller dans cette direction ? […] Nous avons la possibilité de commercer librement. Beaucoup de nos économies sont complémentaires, et je suis sûr que nous pourrions progresser dans ce sens"
Conçue comme une alternative à l’OEA (Organisation des Etats Américains, pilotée par les Etats-Unis), la CELAC a toujours été marquée à gauche idéologiquement. La CELAC a accueilli Cuba parmi ses membres dès sa création, alors que le pays était exclu de l’OEA. Elle offre également une plateforme de dialogue avec le reste du monde, notamment l’Union européenne et la Chine.
Si ce septième Sommet est un signe positif de reprise du dialogue entre les pays d’Amérique latine, beaucoup de progrès restent à faire pour concrétiser les processus d’intégration régionale, notamment sur le plan économique.
Comme l’illustre le MERCOSUR, aujourd’hui à un point de rupture, l’intégration économique régionale stagne, voire recule, depuis plusieurs années. La région est caractérisée par un très faible commerce intrarégional, des coûts commerciaux élevés, résultant de politiques tarifaires obsolètes et de réseaux d’infrastructures peu efficaces. De plus, les principaux partenaires de la majorité des pays latino-américains sont aujourd’hui la Chine et les Etats-Unis. Depuis une dizaine d’années, les pays latino-américains ont en effet cherché à signer des accords commerciaux extrarégionaux plutôt qu’avec leurs voisins directs.
Dans le reste de l’actualité
Argentine 🇦🇷
Dans une interview accordée au Financial Times, Sergio Massa, le ministre argentin de l'économie a déclaré que les exportations de gaz et de lithium devraient renforcer la capacité du pays à rembourser ses dettes à partir de 2025. Il affirme que le pays devrait commencer à exporter du gaz au Chili “dans les prochains jours” et au Brésil à partir de septembre.
La construction du gazoduc Nestor Kirchner et les investissements enregistrés sur le site de Vaca Muerta (deuxième gisement de gaz de schiste le plus important au monde) devraient permettre à l’Argentine d’augmenter fortement ses exportations de gaz. Selon les estimations de l’agence gouvernementale Plan Gas, les exportations vers le Chili pourraient rapporter plus de 3 milliards de dollars à l’Argentine d’ici 2028. Pour le ministre, ces revenus permettraient « à la balance commerciale énergétique de l'Argentine de passer d'un déficit de plus de 5 milliards de dollars en 2022 à un excédent d'environ 12 milliards de dollars en 2025 ».
Sur le court terme, le pays reste lourdement endetté et pourrait faire face à un nouveau risque de défaut de paiement d’ici septembre. Sergio Massa reste cependant optimiste et s'est montré confiant sur le contrôle de l’inflation et la maitrise des dépenses pour l’année 2023.
Gas and mining boom to transform Argentina’s economy, minister says
Financial Times, 24 janvier 2023
Chili 🇨🇱
Le gouvernement chilien a officiellement abandonné le projet Dominga, qui prévoyait d’ouvrir une mine de fer et de cuivre au nord de la ville de La Serena. Ce projet de 2,5 milliards de dollars devait également établir un complexe industriel près d’une zone environnementale sensible.
Le ministre chilien de l'Environnement a annoncé que ce projet ne pouvait pas être validé, au vu de son impact sur les réserves marines et naturelles à proximité.
En discussion depuis de nombreuses années, le projet Dominga était d’autant plus controversé depuis la publication des Pandora Papers. Ils avaient en effet révélé que la famille de Sebastian Pinera, ancien président du Chili, était propriétaire à 56% du projet Dominga et que le président s’était engagé à ne pas faire voter de nouvelle loi environnementale pouvant faire obstacle à ce projet.
Chile rejects $2.5bn iron and copper mine planned near penguin reserve
The Guardian, 18 janvier 2023
Colombie 🇨🇴
La ministre colombienne des Mines, Irene Velez, a confirmé au Forum économique de Davos que le pays n’allait plus octroyer de permis pétrolier ou gazier, conformément à l’engagement pris par Gustavo Petro lors de sa campagne présidentielle.
Ce revirement historique en Colombie constitue un véritable pari sur l’avenir, alors que les hydrocarbures représentent 40% des exportations du pays et 12% des revenus de l’Etat. Cependant, la Colombie dispose encore d’un stock de 2,3 milliards de barils de pétrole, assez pour répondre à la demande (domestique uniquement) sur les 23 prochaines années. Le gouvernement de Gustavo Petro souhaite désormais s’inscrire dans des initiatives internationales et obtenir des financements pour cette transition. Le Danemark et le Costa Rica, membres fondateurs de l’Alliance Beyond Oil & Gas, se sont engagés à apporter un soutien financier à la Colombie.
La Colombie s’engage à ne plus exporter son pétrole et à ouvrir de nouveaux puits
Ouest France, 25 janvier 2023
Costa Rica 🇨🇷
Reconnu comme un pays modèle en termes de protection de l’environnement, le Costa Rica pourrait bientôt devenir le premier pays au monde à l’empreinte carbone neutre.
Pour autant, le président Rodrigo Chaves, ancien économiste de la Banque mondiale, élu en 2022, souhaite dynamiser l’économie du pays, quitte à faire quelques concessions sur le plan environnemental. Depuis son élection, Rodrigo Chaves a en effet pris certaines mesures à contre-courant de la tradition écologique du pays. Il a suspendu un projet de tramway à San José, qu’il estimait trop couteux et a refusé de ratifier le traité d’Ezcazu sur la participation de la société civile et la transparence dans les politiques environnementales.
Le président, qui bénéficie d’un taux d’approbation record de 74%, souhaite mettre l’économie au centre de son programme. En cela, il répond à une demande d’une grande partie de la population, impactée au quotidien par l’inflation (près de 8% en 2022) et le chômage (autour de 12% en 2022). Si il assure que la protection de l’environnement reste une de ses priorités, Rodrigo Chaves affirme aussi que le Costa Rica est désormais “ouvert aux affaires”.
Costa Rica’s new president may test the commitment to eco-consciousness
Boston Globe, 24 janvier 2023
Equateur 🇪🇨
Les Equatoriens sont appelés à un referendum le dimanche 5 février, portant principalement sur la lutte contre le trafic de drogue, une diminution du nombre de députés au Congrès et la protection des ressources hydrauliques du pays.
Le pays est confronté à une forte augmentation de la violence depuis 2020, principalement liée au narcotrafic. Si le “oui” l’emporte, la Constitution sera modifiée afin de donner à l’armée plus de prérogatives dans la lutte contre le narcotrafic. L’extradition d’Equatoriens accusés de “crime organisé international” sera également facilité.
La majorité de la population semble approuver les différentes propositions de ce référendum, qui visent aussi à améliorer la transparence au sein des institutions politiques. Une victoire du “oui” constituerait un mince succès politique pour le président Guillermo Lasso, qui reste très critiqué malgré ce referendum, et dont le taux d’approbation est à 15%.
Ecuador set for turbulent referendum to reform the constitution
Court House News, 22 janvier 2023
Salvador 🇸🇻
Le ministre des Finances du Salvador Alejandro Zelaya a déclaré cette semaine que le Salvador avait remboursé une obligation de 800 millions de dollars US qui arrivait à échéance ce 24 janvier.
Une nouvelle rassurante quant à la santé économique du pays qui a fait le “pari” du Bitcoin depuis un an et demi ; beaucoup d’observateurs doutaient en effet de la capacité du pays à honorer cette échéance. Plus tôt ce mois-ci, le Salvador avait obtenu un prêt de 350 millions de dollars de la part de la Banque centraméricaine d’intégration économique.
El Salvador says it paid maturing $800 million bond
AP, 24 janvier 2024