Accord UE - MERCOSUR : les enjeux d’un partenariat stratégique
Contexte historique et portée stratégique
L'Accord de libre-échange entre l'Union Européenne (UE) et le Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay et Uruguay) représente un tournant, concluant plus de 25 ans de négociations. Les négociations commerciales avaient donné lieu à un premier accord en juin 2019 mais depuis les deux parties ont renforcé le texte avec de nouveaux engagements en matière de durabilité. La version finale a finalement été signée le le 6 décembre 2024 à Montevideo.
Cet accord historique ouvre un marché potentiel de plus de 750 millions de personnes, et positionne l'UE comme le principal partenaire stratégique de l'Amérique Latine.
Le partenariat est structuré autour de trois piliers fondamentaux : le dialogue politique, la coopération et le commerce. D'un point de vue géopolitique, il vise à ancrer l'UE comme partenaire de référence en Amérique Latine et à consolider une relation stratégique fondée sur des valeurs et une vision commune du développement durable, notamment la démocratie et les droits humains.
Pour s’appliquer concrêtement, l’accord doit désormais être ratifié par les pays membres des deux blocs. En septembre dernier la Commission européenne a validé officiellement le texte soumis aux État membres qui est donc prêt à être ratifié (généralement via un vote législatif).
Les choses pourraient désormais aller vite au vu du contexte commercial global. Les autorités brésiliennes et de plusieurs pays européens souhaitent ratifier l’accord rapidement afin d’offrir un nouvel élan aux entreprises des deux blocs impactées par les tarifs de Donald Trump. La Comission espère que la ratification dans les pays membres peut intervenir d’ici la fin de l’année. Même Emmanuel Macron s’est montré optimiste sur cet objectif malgrés les polémiques que suscite cet accord en France.
Accord UE-Mercosur : les avantages économiques et commerciaux pour l'UE
L'accord est perçu comme essentiel pour renforcer la compétitivité européenne en diversifiant et sécurisant les chaînes d'approvisionnement.
Chiffres clés et gains financiers
Commerce et Investissement : L'UE est le plus grand investisseur dans les pays du Mercosur, avec un stock d'investissements directs étrangers (IDE) atteignant environ 390 milliards d'euros en 2023 (ou 388 milliards d'euros selon une autre source).
Partenariat Commercial : L'UE est le deuxième partenaire du Mercosur pour le commerce de biens, comptant pour près de 17 % du commerce total du bloc en 2024.
Élimination des Droits de Douane : L'impact financier immédiat est considérable pour les entreprises européennes. Le pacte prévoit la suppression des droits de douane sur 91 % des exportations européennes vers le Mercosur. Cette élimination permettra aux entreprises européennes d'économiser plus de 4 milliards d'euros par an en droits de douane, soit huit fois l'économie tarifaire offerte par l'accord avec le Canada.
Croissance et Emploi : L'UE estime que ses exportations de produits vers les quatre pays du Mercosur augmenteront de 39 % à 40 %, soit environ 49 milliards d'euros. Cela devrait entraîner la création de 440 000 nouveaux postes. Les exportations de l'UE vers le Mercosur soutiennent déjà 756 000 emplois européens.
Avantages sectoriels (biens et services)
Secteur Industriel : Le Mercosur libéralisera 90 % de ses importations industrielles de l'UE, bénéficiant directement aux secteurs traditionnellement soumis à de lourdes taxes d'importation. Cette élimination s'étendra sur 10 ans pour la majorité des produits. Les secteurs bénéficiaires incluent l'automobile et ses composants, les biens d'équipement, les produits chimiques et pharmaceutiques. Certains produits, comme les chaussures en cuir, les jouets, les vêtements et le vin, profiteront de la suppression de droits atteignant actuellement 35 %.
Services et Marchés Publics : L'accord améliore l'accès aux services clés (financiers, postaux, de télécommunications, transport maritime international). Il offre également aux entreprises européennes un accès non discriminatoire aux marchés publics du Mercosur, un point particulièrement pertinent car ces pays ne sont pas signataires de l'accord de l'OMC sur la passation de marchés publics.
PME : Le pacte vise à faciliter l'accès préférentiel des Petites et Moyennes Entreprises (PME) aux marchés et à réduire les coûts et les barrières non tarifaires.
Matières premières critiques (MPC)
L'accord est instrumental pour garantir un approvisionnement sûr et durable en matières premières critiques, essentielles à la transition écologique et numérique de l'UE.
Il assure un accès préférentiel à des matériaux cruciaux pour l'autonomie stratégique de l'UE, tels que le lithium, le silicium et le graphite.
Le Brésil est un producteur majeur de Niobium (88,8 % de la transformation mondiale et 82 % de l'approvisionnement de l'UE), de Graphite naturel, et de Manganèse. L'Argentine est un acteur clé pour le Lithium.
Les tarifs douaniers européens sur les MPC seront abaissés, incitant les exportations du Mercosur vers l'UE et réduisant les coûts pour les entreprises européennes. L'accord établit également l'un des standards de durabilité les plus élevés pour le commerce des MPC.
Les exigences environnementales et sociales
L'accord intègre des engagements ambitieux, juridiquement contraignants, en matière de durabilité.
Climat et déforestation : L'Accord de Paris contre le changement climatique est une clause essentielle du pacte, dont l'abandon par l'une des parties pourrait entraîner la suspension de l'accord. Le texte inclut un engagement clair et juridiquement contraignant visant à stopper la déforestation d'ici 2030.
Législation UE : L'accord garantit que la législation de l'UE sur la déforestation (applicable fin 2025) s'applique aux produits importés (soja, bœuf, huile de palme, etc.), assurant que les marchandises importées ne contribuent pas à la déforestation dans les pays du Mercosur.
Principes de durabilité : L'accord promeut la non-régression des normes environnementales et sociales. Il promeut également le commerce de produits qui contribuent à la conservation de la biodiversité et interdit le commerce de produits obtenus illégalement, notamment le bois.
Droits du travail : Les parties s'engagent à respecter les règles de l'Organisation internationale du travail (OIT) concernant le travail forcé et des enfants, la non-discrimination, la liberté d'association et le droit à la négociation collective.
Accord UE-Mercosur : les controverses autour de l'agriculture européenne
L'accord est confronté à une résistance féroce de l'agro-industrie européenne, notamment en France et en Pologne, qui craignent l'afflux de produits agroalimentaires sensibles (viande bovine, volaille, sucre, riz). La Pologne souhaite d’ailleurs mener une “minorité” de blocage contre cet accord.
Maintien des normes et protections sanitaires
L'accord maintient les normes strictes de l'UE en matière de sécurité alimentaire, de santé animale et végétale (normes SPS), qui restent non négociables.
Contrôles : Tout produit vendu dans l'UE doit s'y conformer. Cela inclut un système d'importation robuste basé sur la science, des évaluations des risques, des audits des pays tiers et des contrôles aux frontières. La viande importée doit provenir d'animaux abattus dans des conditions de bien-être animal équivalentes à celles de l'UE.
Principe de Précaution : L'accord réaffirme le principe de précaution, permettant aux deux parties d'adopter des mesures provisoires de protection de la santé et de l'environnement, même en cas d'informations scientifiques non concluantes.
Ces normes ont fait l’objet de longues discussions entre les deux blocs car percues comme un frein pour les exportateurs sud-américains. Néanmoins, elles peuvent aussi être l’opportunité pour ces entreprises d’améliorer la qualité de leurs produits, comme l’indique le Ministre des Relations extérieures de l’Uruguay.
Quotas et indications géographiques (IG)
Pour les produits agricoles sensibles, l'accès au marché de l'UE est limité par des contingents progressifs :
Viande Bovine : L'accord n'accorde pas l'accès en franchise de droits pour le bœuf du Mercosur. Il autorisera 99 000 tonnes à entrer dans l'UE avec un droit de 7,5 %. Ce volume représente 1,5 % de la production totale européenne de bœuf et est inférieur à la moitié des importations actuelles du Mercosur (206 000 tonnes en 2024).
Volaille et Sucre : Un quota en franchise de droits de 180 000 tonnes sera ouvert pour la volaille, progressivement appliqué sur cinq ans (soit 1,3 % de la production totale de l'UE). Pour le sucre, un quota existant de l'OMC de 180 000 tonnes de sucre de canne brut pour le raffinage deviendra en franchise de droits pour le Brésil, et un nouveau quota de 10 000 tonnes est prévu pour le Paraguay (représentant 1,1 % de la production européenne de sucre).
Riz : Un quota de 60 000 tonnes de riz du Mercosur sera autorisé en franchise de droits, un volume inférieur aux importations existantes.
Protection des IG : L'accord assure la protection de plus de 350 (ou 344) Indications Géographiques européennes afin d'éviter l'imitation de ces produits de qualité traditionnelle.
Accord UE-Mercosur : processus de ratification et perspectives d'avenir
La ratification nécessite l'approbation du Conseil de l'UE et du Parlement Européen. Cependant, la Commission Européenne a proposé l'EMPA et l'Accord Commercial Intérimaire (iTA) pour une entrée en vigueur potentiellement provisoire du volet commercial, sans attendre la ratification par les parlements nationaux.
La résistance politique est forte : la Pologne et la France s'opposent fermement, la Pologne tentant même de former une minorité de blocage.
Si l'accord est pleinement ratifié, l'UE disposera d'accords commerciaux couvrant 95 % du PIB de l'Amérique Latine et des Caraïbes. Les flux commerciaux moyens entre le Mercosur et l'UE devraient augmenter de 37 % à long terme.
De plus, en interconnectant les accords de libre-échange existants (via l'accumulation croisée des règles d'origine et les Accords de Reconnaissance Mutuelle), le commerce bilatéral entre l'UE et le Mercosur pourrait augmenter jusqu'à 70 %. À terme, cela pourrait créer un espace économique intégré UE-Amérique Latine de 1,1 milliard de personnes, avec un PIB comparable à celui des États-Unis.